mardi 20 septembre 2011

Marie Darrieussecq, Truismes (1996)


Discussion de Truismes par Marie Darrieussecq.

9 commentaires:

  1. Question de Lindsay Reed:

    Madame Darrieussecq,

    J’aime l’idée d’une transformation et votre style d’écriture. Comment avez-vous choisi des thèmes comme la prostitution et la transformation? Quelles sont vos influences ou inspirations pour votre style d’écriture si descriptif et si honnête ?

    Merci, Madame,

    Lindsay Reed

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  2. Liana Pshevorska:

    Madame Darrieussecq,

    Comment est-ce que vous êtes arrivée au titre « Truismes » pour votre roman?

    Selon la définition de Larousse, un truisme est « une vérité banale, si évidente qu’elle ne mériterait pas d’être énoncée ». Est-ce que cette définition désigne la transformation de la narratrice de l’histoire? Quel est exactement le truisme du roman? Ou faites-vous peut-être référence aux autres œuvres qui traitent le sujet de la thérianthropie (Kafka)?

    Le titre me parait assez ingénieux, parce que vous avez rajouté un sens supplémentaire à la définition du terme, c’est une sorte de croisement de concepts. L’autre mot qui me vient à l’esprit est la truie dans laquelle la narratrice se transforme. Diriez-vous que ce mélange de deux sens est votre néologisme?

    J’étais curieuse de voir comment ce roman a été traduit dans d’autres langues. En anglais, par exemple, le sens est beaucoup plus évident – Pig Tales : Novel of Lust and Transformation. En russe, la traduction est peut-être plus proche au double titre et au jeu de mots de sa version française. Le titre russe signifie à la fois les vérités banales et inclut une référence à l’animal qui est mis en avant plus directement; on y rajoute le terme qui signifie le grognement à l’intérieur du mot ‘truismes.’ Si votre intention était bien de créer un néologisme, que diriez-vous de ces différentes traductions du titre? Laquelle serait plus proche de votre intention originale?

    Merci.

    Marie Darrieussecq: Liana, ce mélange des deux sens peut être perçu comme un néologisme en effet. Alfredo Arias dans son adaptation au théâtre du Rond Point (à partir du 8 novembre) fait dire au personnage qu'elle est "atteinte de truisme". J'aime beaucoup la traduction "Pig Tales", et moins les traductions un peu paresseuses ou aguicheuses qui ont choisi "Cochonnerie", souvent contre l'avis du traducteur d'ailleurs ("Schweinerei" en Allemagne, par exemple). Les traductions scandinaves du titre sont très bonnes, elles jouent sur "Sug", qui veut dire truie, et "suggestion".

    On a souvent évoqué Kafka et son cancrelas. Mais il y a aussi Ovide et même déjà Homère pour la transformation en cochon. Toutes proportions gardées... mon roman parle du corps de la femme. Kafka et les femmes, vraiment, ça faisait deux. Les deux romans sont très, très différents, même si toute histoire de métamorphose est sans doute une métaphore de la marginalité, du refus ou de l'incapacité (de l'incapacité-refus) d'adhérer à ce que la société attend de nous.

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  3. Jordan Bartlett:

    Madame Darrieussecq,

    J’ai trouvé votre roman très intéressant, je le décrirais comme un « conte de fée adulte » peut-être. D’où avez-vous trouvé l’inspiration pour le mélange des aspects très risqués, comme la prostitution, avec les aspects fantastiques, comme la métamorphose des personnages principaux ? Quels étaient vos objectifs avec ce mélange ?
    Aussi, vos descriptions des pensées du cochon sont très détaillées, comment avez-vous créé de telles descriptions ? Avez-vous fait des recherches ou sont-elles toutes venues de votre imagination ?

    Merci beaucoup, Madame.

    Marie Darrieussecq: Jordan, les seules recherches que j'ai faites sont sur la peau du cochon, sa texture. J'habitais en banlieue parisienne, pas de cochons. Je me suis retrouvée par hasard dans une ferme, au Nord de la France, et là j'ai pu voir de près des cochons, cela faisait depuis mon enfance au Pays Basque que je ne m'y étais pas intéressée de si près... C'est une peau presque humaine, fine, avec de longs poils épars.

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  4. Clara Estey:

    1-On sent une grande inspiration dans Truismes, on le lit comme un récit qu’on écoute du début à la fin sans pause, particulièrement avec l’absence de chapitres ou de parties. J’ai lu que vous aviez mis 6 semaines à écrire le livre, l’idée d’écrire Truismes et les détails de l’histoire sont-ils venus aussi vite que son écriture ?

    2-D’après la fin du roman est-ce que pour vous « la femme est condamnée à être libre » ?

    3- Truismes est truffé… de symboles, et j’ai peur de pousser l’analogie, mais il y a t-il d’autres messages à y percevoir, écologisme, végétarisme, abattages animaliers ?

    Marie Darrieussecq: Clara, j'ai en effet écrit le livre en six semaines, mais j'ai beaucoup rêvé (éveillée) auparavant, je l'ai laissé monter dans ma tête pendant au moins quatre ou cinq mois. En décembre 1995, en particulier, Paris était en proie à de grandes grèves pour le maintien de la Sécurité Sociale. Tout était bloqué : métro, bus, poste, écoles... Les Parisiens marchaient ou faisaient du stop. Les voitures s'arrêtaient et les conducteurs prenaient des inconnus à bord. Je me souviens avoir traversé Paris à pied de Malakoff à Belleville, cela m'a pris trois heures, de café en café. Il faisait froid, les bistrotiers vous offraient le café (du jamais vu), les gens se parlaient. L'ambiance était à la fois à la rage et à l'euphorie. Il y avait un grand souci social, commun. J'ai adoré cette période, et Truismes est né de cette colère collective.

    Truismes a été lu de multiples façons. Toutes sont bonnes, sauf celles qui iraient à l'encontre de l'élan du livre : la lecture misogyne, sexiste ou raciste, est absurde, par exemple. Seuls les idiots ne comprennent pas l'ironie évidente du livre, sa petite voix naïve qui raconte des horreurs... Comme le livre a été un best-seller, peut-être parce qu'il était un miroir de son époque, il a été sujet à des malentendus, à cause justement du nombre de lecteurs innocents qu'il a touchés...

    Je ne réponds pas à tout le monde, désolée, parce que certaines questions se recoupent.

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  5. Kassie Smith: Bonjour. J’ai trouvé votre roman très intéressant. J’aime le mélange des fantasmes et les thèmes provocants. Quand vous écriviez ce roman, est-ce qu'il y a un point ou un thème que vous avez trouvé le plus important? Pour moi, l’aspect de grandir sans la maturité est le plus signifiant. Merci d'avance!

    Marie Darrieussecq: Kassie, pour moi ce roman est le récit d'une "super puberté". Nous nous sommes tous métamorphosé à l'adolescence. Notre peau, notre poids, notre voix, notre taille, nos organes, tout a été soumis à une transformation que l'angoisse peut vite faire vivre comme monstrueuse... Et si nous ratons la marche obligatoire de "l'intégration sociale", c'est la marge qui s'offre à nous, la marginalité, toujours possible, magnifique, et cauchemardesque aussi.

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  6. Cecilia Ciruno:

    En tant qu’écrivain vous avez utilisé des éléments fantastiques et des éléments réels dans Truismes. J’aime beaucoup ce mélange de la réalité et de la fantaisie, spécialement parce-que j’aime écrire avec ces deux éléments. En dessous l’intrigue, il y avait toujours une base réelle. Cette base aide à retenir les lecteurs pendant la progression de la fantaisie. Quelles techniques est-ce que vous avez utilisées dans Truismes pour créer un monde réel qui complète le monde fantastique ? En contraste, est-ce qu'il y avait une raison pour laquelle vous avez utilisé la fantaisie pour raconter cette histoire ?

    J’étais intriguée par la relation entre la narratrice et Yvan. Tous les deux sont un hybride d’animal et d’humain. D’une façon, les humains sont un type d’animaux parce que nous sommes Homo sapiens dans l’ordre de primate. En conséquence, Yvan et la narratrice ont une compréhension belle, amoureuse, mais en même temps bestiale, qu’ils n’ont pas pu trouver dans le monde semi-cruel, semi-beau de Truismes, où les humains normaux ont des traits bestiaux. Est-ce que ces relations entre Yvan, la narratrice et les autres humains est une critique de la société et des relations que nous formons avec les autres êtres humains où il y avait toujours la possibilité pour lâcher l’animal dans nous-mêmes ?

    Marie Darrieussecq: Cecilia, "L'homme est un loup pour l'homme" a dit Hobbes (je crois). Il faudrait traduire plus correctement : "l'humain est un loup pour l'humain".

    Le fantastique m'est naturel. Il offre une description de la façon dont nous pouvons vivre intérieurement le réel. Le réel n'a rien de rationnel. Il suffit de voir l'économie... Un monde absurde, aux lois énigmatiques et déréglées, voilà l'économie. Stanislas Lem ou Kafka la décrivent mieux que tout économiste ou tout banquier, il me semble.

    Il y a aussi dans Truismes une illusion rétrospective, un procédé narratif qu'on trouve parfois dans la science fiction : la description d'un passé imaginaire, mais dont la date, par rapport au lecteur, est dans le futur. Quand j'ai écrit Truismes en 1996 j'imaginais qu'il se passait environ en 2015. C'est le premier roman en euros, à ma connaissance. L'euro a été instauré en 2000, dans la réalité. Il y a aussi dans Truismes des transactions sur internet alors que ça n'existait pas encore. Aujourd'hui cela ne rend plus ce son de "science fiction proche". Ni la politique menée par Edgar, d'ailleurs. Elle évoque ce que fait Sarkozy aujourd'hui, avec son atmosphère "bling bling" et son honteux "Ministère de l'Immigration et de l'identité nationale", qui est une chose que je n'aurais même pas imaginé inventer pour le roman : ç'aurait été caricatural, grotesque. Or nous y sommes.

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  7. Paulina Bricca: Mme Darrieussecq, j'ai pensé qu'il était intéressant de voir comment la narratrice devient plus intellectuelle en même temps qu'elle se transforme en cochon. Est-ce censé être une métaphore pour le vieillissement d'une jeune fille naïve dans une femme plus intelligente et plus vieille? Ou est-ce censé révéler autre chose?

    Sky Fernandez: J’ai le sens que la transformation dans le livre est plus qu’une transformation d’une femme naïve, mais aussi une transformation du monde qui l'entoure. Quelle est la signification de la transformation en ce sens, et pourquoi vous avez choisi un cochon au lieu d’autres animaux ?

    Marie Darrieussecq: Paulina, Sky, pour moi ce roman est surtout l'aventure d'une voix. Cette femme n'a aucun outil intellectuel à sa disposition, elle n'a pas bénéficié d'une éducation, elle n'a pas d'outils verbaux pour se raconter à elle même sa propre histoire. Donc, elle énonce des Truismes, des clichés, y compris racistes et sexistes. Peu à peu, son corps lui dit qu'elle est un individu absolument singulier, un "monstre", un être non codifiable par la société, comme nous le sommes tous, en fait. Son corps l'oblige à trouver des mots. Elle se met, un peu par hasard, à lire, elle fait surtout des rencontres (le marabout, le loup) et donc elle apprend à parler avec l'autre, et à se parler à elle-même. Elle le dit, si elle écrit, c'est grâce à Yvan. C'est l'histoire d'une libération chèrement acquise, de mot en mot, mais qui est aussi un calvaire.

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  8. Rachel Stringer: Votre roman me rappelle le premier roman de Margaret Atwood, La Femme Comestible (The Edible Woman). Dans ce roman, le personnage principal a l’impression d’être consommée, et elle trouve qu’elle ne peut rien manger. Avez-vous lu ce roman ?

    Les cochons sont connus pour être consommés par les humains. Avez-vous choisi le cochon pour dire que les femmes sont connues de la même façon ?

    Aviez-vous l’intention d’écrire un roman féministe ?

    Marie Darrieussecq: Rachel, The Edible Woman m'a l'air passionnant ! Le titre déjà est formidable. Je vais le lire, merci du conseil. Je n'ai absolument rien contre la lecture féministe de "Truismes", au contraire.

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  9. Loredana Mitescu: Quel est le symbole de la transformation traumatique de la femme en truie? Pourquoi est- ce que vous avez choisi cet animal, qu’on caractérise en utilisant des mots comme : gros, sale, stupide, etc. On peut dire que c’est presque une métaphore qui humilie la femme.

    Charlene Gilbert: Quelles sont les raisons qui vous ont motivées à choisir la truie comme animal dans lequel la narratrice se métamorphose? Le choix de la truie a-t-il été dès le départ un choix évident ou bien avez-vous pensé à d'autres animaux? Et si tel est le cas, le(s)quel(s) et pourquoi?

    David Rutherford: Quelle est la signification derrière le choix du cochon comme animal de la femme et le loup pour l'homme? Y a-t-il une autre signification derrière le choix des animaux?

    Alyssa Abbey: Dans votre livre, Truismes, je trouve beaucoup d'exploration avec la nature animale chez les humains mais aussi il y a spécifiquement les allusions et jeux de mots aux cochons. Pourquoi avez-vous choisi les cochons pour représenter la nature animale des humains?

    Marie Darrieussecq: Le cochon est un animal repoussant dans à peu près toutes les cultures. Pour une femme, c'est l'insulte animalière suprême, associée au gras, au laid, au sale, à l'obscène. La truie est censée aussi manger ses petits à la naissance (c'est faux bien sûr). Bref, la métamorphose en girafe, ça n'aurait pas marché...

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