mardi 20 septembre 2011

Jean-Philippe Toussaint, Faire l'amour (2002)


Discussion de Faire l'amour par Jean-Philippe Toussaint.


15 commentaires:

  1. Réponses de Jean-Philippe Toussaint à Allyssa Abbey

    Alyssa Abbey:

-Est-ce que vous avez été au Japon avant d’écrire le livre ? Donc est-ce que les aspects culturels du Japon sont vraiment bien représentés? Par exemple une partie du livre décrit une scène au milieu de la nuit et il faisait très froid et mouillé et le personnage principal masculin essaie d’obtenir un taxi pour revenir à l’hôtel. Mais le chauffeur ne veut pas les prendre et il chasse et les laisse dans le froid. Est-ce que c’est normal au Japon ? Ou avez-vous écrire ça juste pour l’intrigue?



    J-P Toussaint: J'ai fait une dizaine de voyages au Japon, j’ai vécu quatre mois à Kyoto en 1996, et j’ai été fasciné par le Japon. Je savais qu’un jour ou l’autre cela se traduirait dans une création. Finalement, c’est passé par un livre, c’est vrai qu’il y avait cette idée de rendre un peu ce que le Japon m’avait donné. Pour le reste, j'ai essayé de restituer un Japon réel, vécu, vraisemblable, loin des clichés et des images toutes faites. Je me suis attaché à saisir des détails véridiques, la scène du taxi que vous évoquez me semble juste psychologiquement, par rapport à ce que je connais du Japon.

    Alyssa Abbey:
- Le personnage de Marie m’intéresse. Connaissez-vous quelqu’un comme qui vous a influencé pour créer ce personnage ? Ou est ce qu’elle vient complètement de l’imagination ?

    J-P Toussaint: C'est en superposant des éléments d'invention et des éléments tirés de la vie réelle que l'on construit un personnage de roman. C’est comme ça que je construis mes personnages féminins, en superposant des femmes véritables et des femmes fantasmées, des femmes réelles et des femmes imaginées. Mais attention, je suis d'accord avec Robbe-Grillet quand il explique que les personnages littéraires sont faits de texte et de mots, à la différence des personnages balzaciens, qui existeraient indépendamment du livre et qui pourraient avoir un passé. Je n’ai pas de naïveté sur l’existence des personnages indépendamment de leurs vêtements de mots et des phrases qui les constituent.

    Mais je ne voudrais pas apparaître non plus comme trop dogmatique, même s’il est clair que, dans ce débat entre Balzac et Robbe-Grillet, je me place clairement derrière Robbe-Grillet. L’aspect psychologique existe aussi. Il prend de plus en plus d'importance dans mes derniers livres, même si la psychologie à l'oeuvre n'est pas exprimée explicitement. C'est un peu comme pour un iceberg, je montre la partie émergente, mais il y a toute une partie invisible que le lecteur doit reconstituer. Le livre est réussi si le lecteur s’approprie cela, en apportant sa propre sensibilité, sa propre intelligence, sa propre histoire, pour compléter le livre.

    Jean-Philippe Toussaint

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  2. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à David Rutherford:

    David Rutherford:

 Je voudrais savoir si l'acide a un autre sens en dehors d'une relation toxique? Le port de l'acide fait ressembler le protagoniste à quelqu'un d'instable au lieu d'être le seul symbole de la relation amoureuse entre Marie et le narrateur. Ou faut-il y voir les deux sens?

    C'est un des rares cas où un accessoire de mes livres est clairement symbolique. En réalité, je me suis rendu copte qu'un côté acide qui était très présent dans mes premiers romans depuis La Salle de bain avait peu à peu disparu, et c’est donc assez consciemment que j’ai voulu remettre de l’acide, ou de l’acidité, dans mes textes. Je me suis donc pris au mot, et j’ai placé intentionnellement un flacon d’acide chlorhydrique dans la poche du narrateur. Cet acide, qui a donc une valeur symbolique, est une menace permanente qui pèse sur le livre, et, comme je prenais cette menace très au sérieux, c'est une des raisons pour laquelle il y a moins d'humour dans le livre.

    Jean-Philippe Toussaint

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  3. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Jordan Bartlett:

    Jordan Bartlett: Premièrement, je voudrais dire que j’ai adoré votre roman Faire l’Amour, la netteté et richesse de votre style d’écriture me rappelle celle d’Ernest Hemmingway (The Sun Also Rises, en particulier). D'où ma question : J’ai lu un article, « Les Non-Lieux De Jean-Philippe Toussaint: Bricol(1)age Textuel Et Rhetorique Du Neutre » par Dominique D. Fisher, qui a dit que vous avez eu l’intention dans vos romans (avec l’utilisation des non-lieux, elle met l’accent) d’écrire un nouveau style de littérature. Elle a dit aussi que vos romans vous sont utiles comme un « jeu d’assemblage » (p 11) (elle parle d’ici de la manière dans laquelle vous écrivez, par exemple votre usage du passé simple, de la ponctuation et de la focalisation sur les événements ou lieux triviaux). Dans l’article, elle focalise sur vos romans La salle de bain et L’appareil photo, et je ne suis pas sûre si je crois que ses observations s'appliquent vraiment à Faire L’Amour, mais seriez-vous d’accord avec Mme Fisher que vous avez eu ces buts quand vous avez écrit vos romans ? Votre style est unique, diriez-vous que vous d'autres auteurs vous inspirent ?



    Je ne connais pas l'article de Dominique D. Fisher. Quant aux sources d'inspiration, elles sont multiples. Comme influences littéraires majeures, je cite toujours Beckett, Kafka, Flaubert, Proust, Nabokov. Depuis peu, j'ajoute aussi Lawrence Durrell (le Quatuor d'Alexandrie) et Faulkner.

    Jean-Philippe Toussaint

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  4. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Paulina Bricca:

    Paulina Bricca: 

Quelle est la signification et la raison pour laquelle l'intrigue se passe au Japon?

    Même réponse qu'à Alyssa Abbey.

    Jean-Philippe Toussaint

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  5. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Kassie Smith:

    Kassie Smith:

 Est-ce que les lieux, comme l’hôtel et le taxi, reflètent la nature de la liaison amoureuse ? A mon avis, aussi bien les lieux que la relation entre les deux personnages semblent finir. Même dans l'atmosphère entre le couple, il y a le silence et un sentiment de vide dans le taxi et l’hôtel dans le roman.

    Les hôtels — plus que les taxis — sont des lieux romanesques qui me fascinent. J'ai écrit un texte qui s'appelle : Comment j'ai construit certains de mes hôtels, où j'explique que les hôtels de mes livres ne sont pas construits avec des matériaux de construction habituels, pas de murs porteurs, pas de poutres, d’échafaudages. Les hôtels de mes livres sont des chimères d’images, de souvenirs, de fantasmes et de mots.

    Jean-Philippe Toussaint

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  6. Réponses de Jean-Philippe Toussaint à Loredana Mitescu:

    Loredana Mitescu:

 Quelle est votre définition de l'amour?

 Pourquoi les deux personnages ne peuvent pas être ensemble? Il me semble que les deux partenaires renoncent facilement à leur amour, à leur relation. Le désir infini est là, mais personne ne fait rien pour reconquérir l'autre.

Pourquoi vous avez choisi de représenter l'être humain de cette manière--faible, dégonflé....?

 Est-ce que vous (l'écrivain) avez connu Marie? Est-ce que vous avez envie de la connaître?



    J-P Toussaint: Je commencerai par faire valoir une objection — une objection radicale qui devrait m'empêcher d'aller plus loin, sans apporter le moindre élément de réponse à la question. Car vous me parlez d'amour, et je ne peux répondre que littérature. L'amour, je n'y connais rien. Ce n'est pas mon rayon, je ne suis pas spécialiste de la question. Je suis écrivain, pas conseiller conjugal. Comme écrivain, je n'ai pas — je ne devrais pas avoir —, le moindre avis sur le sujet. Peut-être des intuitions, des petites idées, mais pas de théorie, de point de vue, de thèse. Rien à dire, rien à expliquer — simplement faire voir, faire ressentir.

    Loredana Mitescu: 

Dans votre roman j'ai observé la répétition du chiffre 3 "....n'y eut soudain que des 3 sous mes yeux, trois 3 qui apparurent dans mon champ de vision, 3.33 a.m que je vis...." Est-ce qu'il y a une raison particulière pour cette répétition?



    Cela ne vous a pas échappé qu'il y avait une répétition de 3 dans 3.33.a.m ? Bien observé.

    Jean-Philippe Toussaint

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  7. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Rachel Stringer:

    Rachel Stringer:

 Dans plusieurs passages, le personnage de Marie porte un masque en soie lilas de la Japan Airlines. J’ai l’impression qu’il représente comment Marie a fermé les yeux à la rupture de sa relation avec le narrateur. Aviez-vous l’intention d’utiliser le masque comme un symbole ou motif ?

 Avez-vous choisi d’employer les mots « son sexe » en décrivant l'appareil génital de Marie pour souligner comment elle l'utilise pour manipuler le narrateur ?

    Pas de symbolique particulière pour le masque (que j'appelle lunettes de soie dans le livre), simplement une fascination pour l'objet réel, concret, que j'ai ramené un jour d'un voyage au Japon. Quant à "son sexe", je crois que j'ai dit son sexe pour parler de son sexe. Rien de plus. Il m'est jamais venu à l'idée qu'elle utilisait (?) son appareil génital (?) pour manipuler (?) le narrateur. Je n'ai d'ailleurs jamais employé aucun de ces mots. "Ce que les autres diront de toi ne concerne qu'eux même" (Ciceron).

    Jean-Philippe Toussaint

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  8. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Charlene Gilbert:

    Charlene Gilbert: 

A la fin du roman on ne sait pas si le narrateur retrouve Marie et si leur passion continue. Sur la page qui suit celle du titre est inscrit le mot "Hiver". Est-ce là le dénouement? S'agit-il de la fin d'un amour, d'une passion? Ou bien vouliez-vous exprimer autre chose par là?

    La fin est délibérément ouverte. Le sous-titre Hiver indique la saion. Le roman suivant, Fuir, a pour sous-titre Eté, et La Vérité sur Marie, Automne-hiver.

    Jean-Philippe Toussaint

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  9. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Clara Estey:

    Clara Estey:

 1- Dans le cadre de notre cours sur les « non-lieux » dans la littérature, nous avons lu Stupeur et tremblements d'Amélie Nothomb et je me suis aussi posé la question à savoir pourquoi le Japon ? Tokyo pour moi reflète assez bien dans ce que je lis, de part son éloignement culturel et géographique, un environnement de solitude dans une multitude, mais avez-vous jamais hésité avec une autre ville ou un autre pays pour situer l’histoire? 

2- Nous avons aussi lu Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq dont le personnage me rappelle vaguement le narrateur de Faire l’amour, surtout parce qu’ils sont tous deux perdus. L’un est déprimé, et on peut, je pense assimiler l’idée de « non-lieux » à sa dépression. Quand on est déprimé, on n’est nulle part, c’est le trou noir, on n’est qu’avec soi même, d’où la narration, les monologues intérieurs, les très rares dialogues. Pour moi, je vois plusieurs non-lieux , les non-lieux dans l’espace, les non-lieux psychologiques, et peut-on dire que le narrateur de Faire l’amour est dans un « non-lieu » amoureux ? Il ne peut pas vivre avec Marie, mais il ne peut pas vivre sans, il ne veut pas l’embrasser, mais il ne veut pas ne pas l’embrasser, « ta gueule… mon amour » et la ville de Tokyo…, peut-on parler de « non-lieux multi dimensionnels ?

 3- Quand avez –vous pensé à faire une trilogie, avant Faire l’amour, pendant ou après ? L’acide sur la fleur, et qui plus est peut-être une pensée, ne représentait-il pas un choix du narrateur d’en finir définitivement psychologiquement avec Marie ?

    C'est peu de temps après avoir fini l’écriture de Faire l’amour que j’ai envisagé pour la première fois un prolongement à l’histoire de Marie. J’étais en Chine, et, un matin, le plan d'ensemble de Fuir m’est apparu. Ce n’est qu’ensuite, progressivement, que je me suis rendu compte des avantages qu’il y avait de travailler avec les mêmes personnages. C'est passionnant, cette idée de travailler à un ensemble romanesque en construction. Chacun des livres est à la fois indépendant — cela ne pose aucun problème de les lire séparément, sans référence avec les autres — et fait partie d’un ensemble plus large. Ils se complètent l’un l’autre, s’enrichissent mutuellement, il y a des résonances qui vibrent de livre en livre.

    Jean-Philippe Toussaint

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  10. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Ronnie Uribe:

    Ronnie Uribe:

 Monsieur Toussaint,

 dans votre roman, vous décrivez plusieurs actes sexuels dans une manière plus ou moins vive et grossière. Quel effet souhaitiez-vous évoquer avec ces descriptions? 

Vous avez choisi un lieu très intéressant pour votre roman. Pourquoi avez vous choisi de ne pas inclure quelques détails à propos de la culture de la ville?

    Vive et grossière ? Pour ma part, je dirais plutôt crue et pudique. Quant aux détails sur la culture de la ville, les lieux à visiter, les conseils sur les bons restaurants et les hôtels, cela ne m'est jamais venu à l'idée. Mais, en fait, j'avais toujours à l'esprit que j'écrivais un roman, et pas un guide touristique.

    Jean-Philippe Toussaint

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  11. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Liana Pshevorska:

    Liana Pshevorska: 

Je trouve votre style d’écriture dans le roman “Faire l’amour” très visuel, voire photographique et à la fois impressionniste. Par exemple, les descriptions de Tokyo à travers la fenêtre de l’hôtel ressemblent à un instantané; le verre de la fenêtre y pourrait être un équivalent de la lentille d’un appareil-photo. Il y a des cas plus directement reliés à la photographie; quand le narrateur se compare à l’autoportrait de Robert Mapplethorpe, par exemple. 

Quelquefois, le style ressemble à une peinture en texte: 

"Le plus frappant, à observer ainsi les imperceptibles variations de couleur et de lumière sur tous les tours de verre bleutées de Shinjuku…ayant à peine perdu de son intensité, l’obscurité était simplement en train de passer du bleu intense de la nuit à la grisaille terne d’un matin neigeux, et toutes les lumières que j’apercevais encore au loin, gratte-ciel illuminés aux bords de la gare, traînées des phares des voitures sur les avenues et sur les arrondis de béton des autoroutes urbaines, boules des lampadaires et néons multicolores des magasins, barres de lumières blanches aux vitre des immeubles continuaient à briller dans la ville comme au cœur d’un nuit maintenant diurne". (69) 

Ce passage me fait penser aux flâneries de Claude dans L’œuvre de Zola qui se promène à toutes des heures du jour pour trouver un sujet qui existe véritablement dans la nature; pour produire ses peintures un impressionniste avait besoin d’être en plein air, de témoigner un sujet avant de de peindre. Votre description est impressionniste dans le cadre moderne; elle semble si précise et détaillée, si vivante, qu’il me semble que vous aussi avez dû observer la transformation de la nuit en jour dans l’endroit que vous avez décrit pour pouvoir écrire ces lignes. Est-ce bien le cas? Est-ce que votre style d’écriture est influencé par la peinture et la photographie?

    Beaucoup de choses me plaisent dans votre question, et particulièrement le mot "impressionniste". Alors, je vais vous faire une confidence et vous parler d'un inédit. Dans une préface que j'ai écrite pour l'édition de poche d'Autoportrait (à l'étranger) qui paraîtra l'an prochain aux Editions de Minuit, j'écris ceci :

    "Car c’est bien de cela qu’il s’agit, avoir, ou essayer d’avoir, l’impression, tâcher de la saisir dans ce qu’elle a de minuscule et de fuyant, de miroitant et de fugace. Depuis toujours, quand j’écris, c’est ce que je m’efforce de faire, de capter des instants éphémères, des sentiments passagers, des émerveillements minuscules, des peurs secrètes, l’éraflure des désirs ou l’amour qui affleure. Les derniers mots d’Autoportrait (à l’étranger) ne sont-ils pas « des incisions », « des égratignures » ? En me focalisant ainsi sur les petits miroitements poignants ou merveilleux du quotidien, c’est une sorte d’impressionnisme que j’essayais de théoriser en douce dans ces textes (d’ailleurs, avec leur tonalité japonaise, n’aurais-je pas pu appeler ces textes Impression soleil levant ?), mais le mot était pris, et c’est un autre terme, qui fait également référence à la peinture, que j’ai finalement retenu : l’autoportrait".

    Jean-Philippe Toussaint

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  12. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Rebecca Patterson-Markowitz:

    Rebecca Patterson-Markowitz:

 L'attention du lecteur est souvent dirigée momentanément vers la lumière dans plusieures formes, quel est le symbolisme de la lumière? 

Il y a plusieurs binaires dans le livre de noir et blanc, le froid et le chaud, la vie et la mort, est-ce que votre intention était de simplifier les personnages principaux d'un “homme” et une “femme” par leur rapport à ces dualismes?

    Faire l’amour est un hommage au Japon, et en particulier à la lumière du Japon, à la lumière de Shinjuku. J’ai beaucoup cherché à parler de la lumière, ce qui est assez rare et difficile en littérature. J’ai beaucoup travaillé, et je me suis rendu compte que les mots n’offrent pas énormément de possibilités pour parler de la lumière, le vocabulaire est assez limité.

    Jean-Philippe Toussaint

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  13. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Cecilia Siruno:

    Cecilia Siruno:

 Partout dans le livre, il y a le thème du temps, en particulier le temps de l’heure contre le temps météorologique. Quand le narrateur était avec Marie, il ressentait que son temps allait finir. En plus, quand il était au Japon avec Marie, il a plu et il a neigé. Marie a aussi pleuré quand ils étaient ensemble. À la page 95, le narrateur a dit que « Les larmes coulaient de façon irrépressible sure les joues de Marie, avec la nécessité d’un phénomène naturel… » 

De plus, quand le narrateur a voyagé à Kyoto, « Il cessa de pleuvoir » et « le temps semblait s’être arrêter » parce qu’il a rompu avec Marie. 

Est-ce que le temps de l’heure et le temps météorologique sont une métaphore pour la relation entre Marie et le narrateur et comment cette relation est formulée autour le temps. Ou est-ce que le temps météorologique était simplement basé sur le temps typique au Japon pendant l’hiver ?

    Je vous ferai une réponse indirecte. J'ai appris récemment qu'un colloque sera consacré à mon travail en juin prochain par le CIEREC (Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine), et le premier axe retenu par les organisateurs est précisément celui que vous évoquez, celui de la relation au temps. En ces termes :

    1- la relation au temps

    1.1 éprouver le temps : inventorier et décrire l’ensemble des postures affectives que l’écoulement du temps suscite chez le personnage de Toussaint ; de l’angoisse à la contemplation apaisée et/ou esthétisée du flux ou du travail du temps. Le mot de sublimation peut-il rendre des services ?

    1.2 décrire et raconter le temps : analyser les dispositifs narratifs par lesquels la chronique des narrateurs de Toussaint « apprivoise » le temps ou au contraire exprime son étrangeté irréductible. Décrire la façon dont s’inscrivent dans l’œuvre les différents aspects, le feuilletage du temps : temps chronobiologique, temps social, temps historique ; une attention toute particulière mérite d’être accordée à la relation entre temps et quotidienneté ; on se demandera aussi si la fiction de Toussaint est aussi radicalement dépolitisée qu’elle semble l’être – sans préjuger du fait qu’une fiction ambitieuse devrait constituer par nature ou par privilège une proposition politique cohérente

    1.3 penser le temps sur le mode de l’agir. La relation au temps se subjectivise dans la façon dont les personnages et le romancier pensent l’action. La relation à l’espace se noue dans cette action récurrente qu’est la fuite ou l’esquive ; la question de l’aboulie et de la paresse, les paradoxes « taoistes » d’une action à la fois non agissante et souveraine seront au cœur de cette partie.

    Jean-Philippe Toussaint

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  14. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Ana Maria Moreno:

    Ana Maria Moreno:

 Percevez-vous dans « Faire l’Amour » que la nature n’est plus qu’un décor au service du monde moderne? Que le monde réel n’est pas le monde naturel ? 

Quel est le propos d’utiliser de la technologie au moment que les sentiments arrivent ? (Par exemple, à la fin du roman, quand le narrateur est envahi par le souvenir de sa compagne, les lumières d’un stade semblent exploser). 

Est-ce que la technologie est à blâmer pour l'augmentation des divorces est des problèmes dans les relations humaines en général? Est-ce que les tremblements de terre sont utilisés comme une métaphore de la relation entre le narrateur et Marie ?

    Oui, le tremblement de terre a incontestablement un rôle métaphorique. Mais, en vérité, je me méfiais beaucoup de ce symbolisme évident, et j'ai tout fait pour le minimiser, ne pas exagérer l'intensité de la secousse qui survient à la fin de la première partie. En même temps, on ne peut pas nier que la menace sismique est une réalité quotidienne au Japon, la catastrophe de cette année n'en est que la terrible illustration.

    Jean-Philippe Toussaint

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  15. Réponse de Jean-Philippe Toussaint à Lindsay Reed:

    Lindsay Reed: 

Monsieur Toussaint, j'ai une question sur les plusieurs références aux pleurs et aux larmes dans votre roman. Est-ce que les larmes signifient leur relation pour Marie comme le flacon d’acide pour le narrateur ?

 Est-ce que vous vous intéressez au concept de ténébrisme? Est-ce que vous appréciez la qualité formelle de l’art ou est-ce simplement une façon intéressante de décrire ?



    Oui, je pense que j'ai traité les larmes comme un motif formel. En réalité, je suis parti d'une photo que j'avais prise un soir, sur le vif, à travers les parois vitrées de l'ascenseur, dans le grand hôtel de Tokyo qui m'a inspiré pour le livre.

    Jean-Philippe Toussaint

    [Note d'A-P Durand: J-P Toussaint a eu la gentillesse de m'envoyer cette photo. Malheureusement, ce blog ne permet pas de la joindre à son message. Mais je l'enverrai aux étudiants du séminaire et je la publierai sur le site de JPT].

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